Bon. Ça me tente de parler de post-rock et de post-métal. Mon blogue, mes règles.
L’ami Benoit Lelievre a publié récemment un super deep dive sur la question qui m’a replongé dans Oceanic de mon groupe préféré, ISIS. Son papier était très bien fouillé - comme on peut s’y attendre avec le niveau de rigueur du journaliste d’Urbania - et son angle d’attaque était proprement unique : d’aborder le post comme une déconstruction plutôt qu’une réfutation des ingrédients constitutifs et non négociables du métal est une lecture originale et assez bien foutue.
Évidemment, Benoit est plus connaissant et plus articulé que je ne le saurai jamais (surtout dans la langue de Burton Cummings), mais j’ai eu envie d’ajouter ma perspective à ce sujet tout sauf brûlant, quoique bruyant.
Le texte qui suit est une transcription adaptée d’un exercice de rédaction sur les racines punk du post-rock et du post-métal. J’ai écrit ce texte en 2014 dans le cadre d’un travail final pour mon certificat en journalisme.
Je l’ai décoincé dans les derniers jours pour lui donner la twist Émotions rock qui lui manquait.
Est-ce que ça vaut votre temps? Peut-être pas, mais si ça vous fait écouter quelques notes de Tortoise, ce sera mission accomplie pour ma part.
Let’s go.
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Une enquête sur les racines punk du post contemporain. Rien que ça.
Sans faire de bruit, et peut-être même sans que personne ne s’en rende compte, le post-rock et post-métal ont suivi un développement similaire et parallèle dans l’histoire récente de la musique. De l’essor dans la deuxième moitié des années 80 à l’âge d’or au début 2000, et jusqu’à l’actuelle dormance, les artisans du genre, ont repoussé les limites et les façons de faire de la musique dont ils ont critiqué le formatage et la marchandisation à grande échelle. Véritable tendance stylistique pour la critique, étiquette vide pour les artistes qui y sont associés, les «posts» sont certainement intéressants à analyser pour en retracer les fondements et pour soumettre leurs propositions contrastées à l’épreuve du temps (spoiler : ça tient encore en batèche!).
Ce qui suit une exégèse engagée des étiquettes post-rock et post-métal. Engagée dans le sens où mon parti pris pour l’intérêt et la pertinence de ces courants musicaux est le moteur de cette démarche d’analyse généalogique. La thèse à prouver ici est que les contours conceptuels du post-rock et du post-métal ont été tracés à même leur filiation avec le mouvement punk et sa propre révolution post. Autrement dit, comment les posts contemporains ont été érigés comme une fuite en arrière, mais qui propulse la musique vers l’avant.
Pareil comme un schéma narratif de Christopher Nolan, mais pas vraiment non plus.
On plonge.
Genèse et essor : une répulsion créatrice?
Donc oui, il faut commencer par parler de punk un peu.
Par la fin de l’été de 1977, il était devenu clair que le punk était devenu une parodie de lui-même. C’est pas moi qui le dit, c’est Simon Reynolds dans Rip it Up and Start Again, son important bouquin sur le post-punk de 1978 à 1984. C’est un constat sévère, mais qui exprime avec quelle force la nécessité d’un «après punk», s’est exprimée dans la musique de groupes comme Wire, Public Image Ltd ou Gang of Four. L’après-punk s’est articulé chez ces artistes comme une réaffirmation radicale des principes au cœur même du mouvement, couplée à un penchant certain pour l’expérimentation.
Fuite en arrière qui propulse vers l’avant. Précisément la double dynamique qui, d’une part, passe par une réinterprétation nécessaire de l’éthos d’un courant et qui, d’autre part, en détruit les chaînes qui le contraint.
Influencés par le krautrock allemand, les rythmes dub du rap naissant et même le funk, les nouveaux punks vont contribuer, dans les années 80, au développement de nouveaux genres qui mélangent, amalgament, fusionnent et tordent le champ des possibles de la musique dite punk.
Mais revenons à la citation de Reynolds. À la base, il a fallu une négation du punk pour permettre sa réinvention. Une répulsion créatrice.
Saut dans le temps, jusqu’à 1994 : le même Reynolds devient le premier critique à apposer à un album l’étiquette «post-rock», le très bof Hex de Bark Psychosis. Douze ans plus tard, en 2006, le terme post-métal était lui aussi largement répandu dans les publications spécialisées qui dissertaient sur ISIS, Neurosis et Year Of No Light sur le web musical.
Le rock et le métal ont aussi ce moment de négation comme rampe de lancement de leur propre révolution post. La mort de Kurt Cobain en 1994, et la manière avec laquelle l’industrie du disque a récupéré le grunge en un phénomène planétaire édulcoré, ont fourni le cadre d’une réaffirmation du rock, loin des grands amphithéâtres et des ondes des radios commerciales. De manière concomitante, le caractère proprement dégénéré du nü-métal a pavé la voie à une exploration plus intellectuelle du métal.
Nitsuh Abebe dans The Lost Generation: How UK Post-Rock Fell in Love With the Moon pousse l’argument une coche plus loin. Par opposition au minimalisme du rock, et à son approche tout pour la scène, le développement du post-rock s’est fait par une réappropriation du studio comme espace de création et d’expérimentation. Le studio offrait à la première génération de musiciens post-rock, une spatialité qui lui permettait de développer des textures et des ambiances, de travailler l’instrumentation en utilisant de nouveaux arrangements et d’explorer le jeu des dynamiques, dans la foulée des travaux de Brian Eno et de Phil Spector.
C’est de cette manière que Millions Now Living Will Never Die de Tortoise a été créé. Rythmes circulaires, échantillonnages, structures déconstruites, assemblages linéaires, cet album est devenu dès sa sortie en 1996 un genre de prototype du post en devenir.
Même si, en 1996, le terme post-rock existe déjà depuis deux ans et qu'on y associe jusque là des groupes britanniques, comme Bark Psychosis, Disco Inferno, Seefeel, Stereolab et Moonshake, sa manifestation américaine chez Tortoise deviendra l’étalon de ce qu’on associe au courant. Crescendos cathartiques, explorations stylistiques, variations des dynamiques et prédominance de l’instrumentation.
Avec Tortoise et Labradford, on retourne à Don Caballero et Slint qu’on associe rétroactivement au courant alors que naissent à la même époque Mogwai, Sigur Ros, Explosions In The Sky et Godspeed You! Black Emperor.
Les joueurs étaient en place sur la ligne de départ. On s’apprêtait à enterrer le rock pour l’amener plus loin, vers le ciel et dans les abysses (c’est selon, lol).
Du côté métal, on se mettra à parler de post par défaut, pour décrire tout groupe dont la démarche s’apparente à celles des groupes de post-rock. Pièces longues et lentes en crescendo, amalgames d’influences, instrumentation atypique ou structure non conventionnelle. Mais «l’intention» post-métal précède Tortoise et Bark Psychosis. Melvins, Neurosis et Godflesh ont débuté leur carrière dans les années 80, en marge de l’immense popularité du thrash métal et du hair métal.
C’est à ça qu’ils s’opposaient pour propulser le métal dans son inévitable mutation.
Et c’est ça qu’il faut retenir. L’idée même d’un courant post implique qu’un style musique et son industrie deviennent une force conservatrice, imperméable à de nouvelles idées, qui manufacture du statu quo, pour qu’elle explose ensuite en quelque chose comme un «après» radical.
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Si ça vous tente, y’aura quelques autres parties à ce texte. En attendant, ce flow chart.
Cibole, Jean-Simon, on est ici quasiment dans du Hegel quand il parle de Aufhebung, qu'on traduit en français par la locution de ''dépassement inclusif''. Même si je suis plutôt étranger au paysage musical que tu explores, j'apprécie ton érudition et ta langue pas trop catholique mais certainement pas banale ni stérile. Amicalement, Michel